mardi 17 novembre 2015

L'UNIVERS DE... SANDA VOÏCA



Entrer dans l’histoire

            Entrer dans l’histoire comme dans cette nuit d’été, si claire encore, juste une parmi d’autres, de cet été là, mais aussi de l’été d’après, et même d’un été prochain, quand elle rentrait (et rentrerait !) à la maison, après avoir été se promener, adolescente, dans le parc municipal, seule ou avec une amie, promenade habituelle et rituelle des samedis et dimanches après-midi et soir. Promenade dite « sur la falaise » - qui donnait la possibilité à chaque habitant, et surtout aux jeunes, de voir quelqu’un sans rendez-vous, étant sûr qu’une fois sur place il pourrait le voir sans faute, dans un des va-et-vient incessants, sur quelques centaines de mètres, longueur du parc et donc de la falaise. Sa promenade de tous les jours aussi, quand elle était en vacances. 
            Donc cet été-là, dans ce parc-là, jouxtant la rive gauche du Danube, plutôt un de ses bras, tout près de l’endroit où le fleuve se sépare en deux, avant de continuer sa route et la finir dans la Mer Noire. Son retour à la maison, sous la pleine lune. Une fois arrivée à la maison, elle voyait très clairement les fleurs blanches ouvertes et fortement odorantes de reine-de-la-nuit. Fleurs en abondance dans leur jardin, poussant toutes seules d’une année à l’autre. Toujours cette lumière éblouissante qui l’attendait dans le jardin, même quand il n’y avait pas la pleine lune, une même pellicule – sensible ! – une sorte de pellicule-ombre, sur les fleurs et les feuilles…
            Plus de lumière dans la chambre de ses parents, couchés tôt, après leur journée de dur travail. A peine dix heures du soir, mais pour eux très tard, et tard aussi pour elle, selon sa mère, qui lui avait dit de ne pas rester plus tard que neuf heures, neuf heures et demie. Elle devrait se sentir coupable d’être en retard, même si elle n’avait rien fait de mal dans sa promenade, comme le craignait sa mère, crainte d’une mère pour son adolescente en fleur, juste avoir prolongé le plaisir d’être dehors, dans l’air plus frais auprès du fleuve, quand la canicule habituelle des étés dans la plaine roumaine rendait les chambres, surtout pendant les nuits, étouffantes. 
            Elle rentrait donc « en retard », sans un motif réel – sauf l’inertie : celle de rester encore, seule, ou avec son amie, à parler avec ou regarder les autres sur la falaise. Elle rentrait dans sa chambre, soulagée que sa mère ne l’ait pas attendue, réprobatrice, et espérant que son arrivée reste discrète. Mais non, à chaque fois sa mère arrivait pour la gronder, lui faisant un vrai procès pour un retard qui, dans son propre esprit, était innocent et inoffensif. La mère sentait déjà la rebelle : celle qui enfreint une règle, s’affranchit de la sienne… 
            Tout ce souvenir tourne autour de la lumière dans leur jardin, qui l’emplissait comme un liquide, dès qu’elle arrivait devant la porte de fer, lourde, fermée à clé par ses parents, obligée à sauter la grille.
            Cette ombre-lumière et cette odeur puissante, qui lui reviennent ce soir, en France, et qu’elle retrouve intactes ou même amplifiées, grâce à cette chute dans le passé.
            En creusant un peu cette entrée dans l’histoire – où en est-elle depuis ? – elle se rend compte du statu quo : malgré les apparences, malgré tous les évènements et les histoires de sa vie et celles de l’Histoire, elle est toujours là, garde la même attitude : devant un interdit (celui de sa mère, ceux des autres, de l’Etat roumain ou français, et surtout devant celui du « mal écrire ») elle le franchit toujours. En même temps pas assez d’énergie et d’insolence, ou d’initiative, pour faire, sinon quelque chose de « mal », au moins quelque chose d’assez significatif, pour justifier le retard de ses mots. L’entrée dans l’histoire n’est pas encore tuante.
            Est-ce vrai ?  


Sanda Voïca a publié en 2015 "Exils de mon exil" (Passages d'encres) et "Epopopoèmémé" (Editions impeccables). Elle sera présente dans le Verso n°163 (à paraître en décembre)

mardi 20 octobre 2015

VERSO N°162




Préface par Alain Wexler



Enfants jouant dans les ruines



Il fut un temps où les ruines étaient à la mode. Dans de paisibles paysages avec bergères et amants. Clin d’œil de la mort et de la machine à moudre de la poussière. Qui visitera ces pages se perdra dans les contradictions de la vie qui jouit de ses corps à corps avec la mort. Il serait facile de s’en tenir à cette dernière phrase qui donnerait la meilleure part au plus fort mais la mémoire est têtue qui s’accroche au fragile parce que plus digne d’attention et seul motif pour nous guider vers un monde harmonieux. Le poète ne fera pas la loi. Il réinvente la parole, la relativise à l’infini parce que celui qui a tout perdu a aussi perdu les mots. Ivan de Montbrison dit que ses cris sont muets. Il est à noter lors des grandes mutations de la société aux éclairs de lucidité aveuglante, on a fait l’éloge de la folie contre le discours des institutions. Gildas Veneau dit que la folie est douce et la raison dure. J’ajouterai  : raison apparente. La mécanique quantique fut un défi aux croyances communes par exemple !

Nous foulons des ruines à chaque instant. Jacqueline Persini dit que ton visage grignote la mort. C’est un poème. Le jeu absolu, la critique absolue. Les enfants qui jouent dans les ruines font partie d’un poème ! Le poème de la critique du temps.

Là est la question. La musique et le poème y sont au cœur. Ils nous parlent. Ce en quoi le texte d’Assia Ouehbi fait mouche avec ces secondes qui passent comme des tramways, soit le temps de l’échange, du poème. Pourquoi pas ? Et cette neige des mots qui fond sur la langue avant d’avoir pu te laisser glisser sur la luge de leurs cris ! Ou la quête du poème impossible !

Le poème par essence dionysiaque aime l’ivresse. Chez Céline Escouteloup, c’est la fête, même pour les morts sous les balançoires des petites filles. Ce que résume Philippe Kowal d’un trait : «Naître par bévue / Sous l’averse. L’abîme / Danse pieds nus.»


EXTRAIT :




ARLETTE PERUSSIE


Quelqu’un me regarde !
Dans cette maison étrangère
Quand le jour se retire                cette Présence
Surgit à la nuit tombée              et moi
Seule dans cette maison qui ne m’est rien
Je suis à sa merci.
Ce quelqu’un me regarde            m’observe.
Même sans bouger Elle est une ombre avide
partout         dans le coin          devant ta fenêtre
Derrière mon épaule je sens ce souffle retenu
J’entends le silence de pas           sa transparence

D’où vient ce frisson du soir ?
Sans visage sans âge ni homme ni femme
Ni même étranger cette chose sait tout de moi !
Présence pesante elle envahit le soir la nuit
La nourriture de mon âme l’air que je respire
Le silence c’est elle la lumière de la lampe c’est elle
Les apparences c’est elle ma voix ?
La peau du ciel n’y peut rien.
Que veux-tu inconnu à venir dans mes soirs
Briser la quiétude des nuits fabriquer des cauchemars ?
Serais-tu l’invisible remords    l’inconsolable vide ?
Ou simple témoin de mon propre fantôme
Errant          désespéré parce que je suis ailleurs ?



Au sommaire du numéro 162 : Kéva Apostolova, Philippe Blondeau, Marc Bonetto, Laurent Bouisset, Muriel Carrupt, Eric Chassefière, Céline Escouteloup, Paul Guillon, Eric Jouanneau, Milouk Keddar, Philippe Koal, Gérard Lemaire, Lodi, Bruno Lomenech, Munesu, Mabika de Cugnac, Ivan de Montbrison, Eric Von Neff, Cécile Ochsenbein, Assia Ouchbi, Jacqueline Persini Panorias, Grégory Parreira, Aurélien Perret, Arlette Perussie, Christophe Petit, Jeanpyer Poëls Stéphane Robert, André Sagne, Saslac, Eric Savina, Barbara Savournn, William Shakespeare, Gildas Vneau, Paul-Henry Vincent, Frédéric Vitiello.



lundi 12 octobre 2015

LECTURE VERSO DU 2 OCTOBRE 2015

La lecture du 2 octobre 2015 a réuni Marie-Agnès Chavent-Morel, Marie-Pierre Kohlhaas-Lautier et Fidèle Mabanza

Marie-Agnès Chavent-Morel a publié "Comme toi, je pense à la lumière" aux éditions Henry. Marie-Pierre Kohlhaas-Lautier a publié "Pauvres Sirandanes" aux éditions Henry.

Fidèle Mabanza a été publié dans le Verso n°161

lundi 15 juin 2015

L'UNIVERS DE... VALERIE HARKNESS






Sœurs, nous avons dérangé les guêpes, nous avons bouleversé le monde 

En tout début d’après-midi, les maisons sont obscures avec leurs volets clos. Les rêves des plus grands sont lourds et pèsent sur leurs têtes.

La clarté du soleil dehors attire comme une flamme experte en pas de danse qui nous dore les pieds et tape sur nos nuques.

Il faut courir dans la terre brune, fendre l’air chaud de nos corps fins plus lestes encore que des insectes. (Sont paresseux, ceux-là, sont peureux.)

La course est folle ; nous nous lançons dans l’interdit ; nous sommes anges.
Allons plus loin.

Tirons très fort la longue plante s’élançant au beau milieu du champ de terre
brune et sèche et qui se laisse tirer, déchirer, malmener, déraciner enfin,
s’abandonnant comme un trophée sans vie.

Le silence fut bref, le temps pour le soleil sournois de brûler notre peau
et la guerre s’ensuit.

Sœurs, nous avons dérangé un nid
De guêpes,
Un foyer.

L’essaim nous prend en grippe, se soulève, sans relâche nous poursuit, nous menace, nous pique et nous harcèle.

Nous avons bouleversé la vie des bêtes.

Et c’est partout ce bourdonnement
De vie hors de la terre dans la clarté vive d’un soleil de midi.

C’est partout qu’elles nous piquent de leur coléreuse détresse.

Folle, la course.

Dessous, dessus, partout
Dans les oreilles même, le bourdonnement nous harcèle.

Nous tombons, trébuchons,
Sur les sillons de terre
Sèche
Les mottes de terre égratignent
Et les cailloux
Font mal partout.

Et les cailloux font mal partout.

Nous avons bouleversé le monde.

lundi 2 mars 2015

REAJUSTEMENT DES TARIFS D'ABONNEMENT

Verso n'avait pas changé ses tarifs depuis plus de dix ans.

Durant cette période, les coûts ont augmenté, et notamment, en ce qui concerne la revue, les coûts du papier et les frais postaux.

Afin de pouvoir faire face à ces augmentations, Verso réajuste ses tarifs : l'abonnement passe de 20 € à 22 €, et le prix du numéro de 5,5 € à 6 €.